Revue d'histoire des sciences - Tome 62 (2/2009)
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Pour qui s’intéresse aux phénomènes sociaux, il n’est pas indifférent de savoir si la distinction académique entre sciences naturelles et sciences humaines recoupe quelque différence ontologique entre les objets – sociétés humaines d’un côté, sociétés animales de l’autre – dont traitent respectivement ces disciplines. L’interrogation évidemment ne date pas d’hier. Dans un contexte marqué par la consécration scientifique de la théorie cellulaire dans presque tous les ordres de la recherche biologique, cette question prend un relief particulier. Les travaux d’Alfred Espinas sur les sociétés animales (1877) en portent témoignage. Nous proposons dans un premier temps de revenir sur les deux réponses, réponses idealtypiques et plus exclusives l’une de l’autre que complémentaires, formulées par Espinas pour résoudre le problème de la délimitation du champ d’extension légitime de la sociologie. La première consiste à déplacer la ligne de démarcation entre sociologie et zoologie en empiétant sur le champ académique de cette dernière. La seconde, autrement plus radicale, consiste à dissoudre la ligne de démarcation entre sociologie et biologie. Dans un second temps, nous montrerons tout, l’intérêt heuristique sur le plan historique, au premier chef pour qui cherche à rendre compte des transferts conceptuels entre sciences de la vie et sciences sociales au XIXe siècle, de cette dernière solution imputant à la théorie cellulaire la responsabilité de la « sociologisation » de la problématique du rapport tout-parties en biologie.
It is not without interest for students of social phenomena to know if the distinction between the natural sciences and the human sciences concerns an ontological difference in the objects considered by these disciplines – human societies on the one hand, animal societies on other. The question is obviously not a new one. But it acquired a new significance in the context of the triumph of the cell-theory in almost all areas of biological research. Alfred Espinas, who worked on animal societies (1877), is a case in point. First, we propose to reconsider the two archetypal answers formulated by Espinas to the problem of delimiting the legitimate scope of sociology – answers mutually exclusive rather than complementary. The first answer consists of moving the demarcation line between sociology and zoology while encroaching on the academic field of the latter science. The second answer, more radical, consists of altogether doing away with the demarcation line between sociology and biology. Secondly, we bring out the heuristic value of the latter solution, which ascribes to the cell-theory the responsibility of the « sociologization » of inquiry into the relation of whole and parts in biology. This solution should be of interest to the historian of science, in particular those who seek to explain the conceptual transfers between the life sciences and the social sciences during the 19th century.