Revue d'histoire des sciences (2/2018)
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La philosophie de Canguilhem s’est développée dans un contexte particulier, celui d’une période – les années 1930 et 1940 – où la biologie était devenue un objet d’intérêt pour quelques jeunes philosophes français. Cet article souhaite questionner certaines convergences intellectuelles afin de montrer que Canguilhem ne fut pas isolé dans son projet d’élaborer une réflexion philosophique fondée sur les sciences de la vie. Pour Raymond Aron, ce fut la crise épistémologique du transformisme français qui fut l’occasion de réinvestir la problématique de la philosophie de l’histoire. Dans son livre de 1931, Le Problème de l’évolution, Maurice Caullery avait soutenu que, bien que l’existence de mécanismes lamarckiens n’ait pas été démontrée dans le présent, ceux-ci avaient dû être à l’oeuvre dans le passé. Comme Aron s’appliqua à le montrer en 1938 dans son Introduction à la philosophie de l’histoire, ce geste épistémique rendait possible le déploiement d’une théorie de l’histoire. Ce fut l’embryologie qui permità Raymond Ruyer d’opérer la transition d’un formalisme mécaniste vers un finalisme néomatérialiste. Ce n’est qu’après avoir été instruit auprès d’Étienne Wolff, durant les années où ils furent tous deux prisonniers de guerre, que Ruyer fut capable de faire toute sa place à la temporalité au sein de son matérialisme philosophique. Les exemples d’Aron et de Ruyer nous montrent que la rencontre de Canguilhem avec la biologie ne fut pas un cas unique, et aident en particulier à comprendre la signification et l’importance pour l’élaboration de sa propre pensée de la réflexivité et de l’histoire.
Canguilhem’s early philosophical development took place in the context of a growing preoccupation with biology among French philosophers in the 1930s and 1940s. This article examines several intellectual convergences to show that Canguilhem’s project of elaborating a philosophy based on the life sciences did not occur in isolation. For Raymond Aron, the epistemological crisis in French evolutionary theory revealed the contours of a philosophy of history. Maurice Caullery’s 1931 Le Problème de l’évolution, had argued that, while Lamarckian mechanisms couldn’t be demonstrated in the present, they had nevertheless operated in the past. For Aron, this epistemic leap disclosed the space of historical theory, as he elaborated in his 1939 Introduction à la philosophie de l’histoire. For Raymond Ruyer, it was embryology that transformed his philosophy from a mechanist formalism to a neo-materialist finalism. Only after learning about embryology from Étienne Wolff, when they were both POW’s during the Second World War, was Ruyer able to inject temporality into his philosophical materialism. Together, Aron and Ruyer demonstrate that Canguilhem’s encounter with biology did not occur in isolation, and highlight the importance of his thinking about history.