Revue d'histoire des sciences - Tome 60 (1/2007)
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Contribution paradoxale à la querelle des Anciens et des Modernes, les Voyages de Gulliver proposent un message pessimiste sur la modernité et sur la nouvelle science qu’elle promeut : la simple sagesse et la juste mesure qui régnaient dans le monde ancien sont devenues des idéaux inaccessibles. Le monde moderne est inexorablement marqué par la disproportion, l’extension et la déclôturation de l’univers, la contingence et l’artificialité du point de vue humain sur le monde. Ce message philosophique est relayé dans le texte par un savant recours à l’optique des Modernes dans la construction de la fiction même des voyages : la perspective artificielle (Leon Battista Alberti) fournit un principe de relativité ; l’optique philosophique (George Berkeley) permet de rendre compte du caractère artificiel, construit par l’habitude, de notre connivence sensible avec le monde ; l’optique instrumentale (le thème des yeux-microscopes, Robert Hooke et Nicolas Malebranche) suggère que l’univers auquel nous donnent accès la science et ses instruments n’est pas approprié à l’existence humaine.
Swift’s masterpiece, Gulliver’s travels, one of the most pregnant and paradoxical contributions to the Battle of Ancients and Moderns, offers a pessimistic view on modernity and modern science. Values of the ancient world such as wisdom, simplicity and good proportion have now become inaccessible ideals. The disproportion between man and his surroundings, the contingency and artificiality of his perspective on the world, the indefinite extension of the universe are inescapable features of modernity. This philosophical view is subtly expressed in Gulliver’s travels narrative through the use of a threefold optical model : artificial perspective (Leon Battista Alberti) offers a principle of relativity ; philosophical optics (George Berkeley) accounts for the artificiality of our acquaintance with the visual world, showing that it is actually built out of habits and experience ; instrumental optics (microscopic-eyes, Robert Hooke, Nicolas Malebranche) suggests that the universe to which science and its instruments give access is not fitted to human life.