
Revue d'histoire des sciences - Tome 66 (2/2013)
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Les défis ponctuent l’histoire des mathématiques des XVIe et XVIIe siècles, depuis l’amère dispute sur les équations cubiques entre Tartaglia, Cardan et Ferrari dans les années 1540 jusqu’au conflit de dimension européenne sur la cycloïde, un siècle plus tard. Si l’histoire culturelle s’efforce de contextualiser ces défis en les rapprochant d’autres pratiques contemporaines, comme les duels ou l’autopromotion dans certains marchés de compétences, l’histoire des mathématiques les a généralement traités comme les restes puérils d’un âge préscientifique que la science moderne et son idéal baconien de coopération allaient bientôt balayer. Pourtant, le nombre de défis et de controverses semble croître à l’intérieur d’une des premières organisations scientifiques visant à une collaboration efficace entre ses membres : le cercle de Marin Mersenne. C’est ce paradoxe qui est au centre de l’article : il s’agit d’y examiner le rôle des défis, et des controverses qui leur sont attachées, dans l’économie des échanges mathématiques (et de la création mathématique) dans la France moderne. Nous y montrons, en étudiant des cas réussis, mais aussi quelques échecs, comment ces défis opéraient : non seulement comme mises en scène d’oppositions méthodologiques, mais aussi et surtout comme liens dans un environnement mathématique structuré par les correspondances et la résolution de problèmes. Cette situation montre en particulier que les controverses potentielles ont pu être une partie constitutive des activités scientifiques normales, et non leur rupture, tout en formatant leur développement dans des directions spécifiques.
Mathematical challenges punctuate the history of early modern mathematics and accompany some of its most famous controversies, equations in the 1540s to the European dimension of the cycloid problem, a century later. While cultural historians have attempted to contextualize these challenges among contemporary practices, and underlined their analogies with duels or advertisements in a competitive market, historians of mathematics have generally treated them as somewhat childish remnants of a prescientific age, that the advent of modern science and its Baconian ideal of efficient collaboration would soon bring to an end. However, the number of challenges did not decrease with time but rather multiplied inside one of the first scientific organizations aiming at cooperative work : Marin Mersenne’s network. This paradox has suggested the focus of this article : to examine the role of challenges in the economy of mathematical exchange (and mathematical creation) in early modern France. Through examples of successful, but also of unsuccessful challenges, we shall see how challenges operated, not only as « mises en scène » of methodological oppositions, but also, and primarily, as links in a mathematical environment structured inside correspondence around the resolution of problems. This situation also exemplifies how potential controversies may have been a constitutive part of normal scientific activities – and not their disruption – while shaping their development in specific, limited directions. from the bitter Tartaglia-Cardano-Ferrari dispute on cubic