Littérature n° 166 (2/2012)
Pour acheter ce numéro, contactez-nous
Recevez les numéros de l'année en cours et accédez à l'intégralité des articles en ligne.
L’époque contemporaine voit se développer les narrations littéraires documentaires, ces oeuvres qui relèvent tout à la fois de la relation de voyage, de l’enquête sociologique, de l’essai politique, du récit biographique et autobiographique. En ses fondements mêmes, la narration documentaire est marquée par l’hétérogénéité. Ainsi de la position auctoriale, celle du « journalisme littéraire », appellation décriée en France, mais genre à part entière dans le monde anglo-saxon. Le « matériau » est lui aussi très varié, puisqu’il se compose, entre autres de descriptions géographiques, de récits historiques, de nombreux entretiens, de micro-narrations, de « confessions » etc. La matérialité des textes en est affectée, puisqu’ils ont fréquemment recours aux différences typographiques et à l’image (dessins, photographies, schémas les plus divers). Loin de dissimuler ces strates d’hétérogénéité, ces narrations documentaires les revendiquent, sans toutefois se laisser gagner par le chaos, car elles s’inscrivent dans un mouvement de cartographie cognitive du monde et de sa complexité. Dans leur volonté de s’ouvrir à la puissance du réel, elles contestent, tout en empruntant leurs méthodes, les pouvoirs du journalisme, des sciences sociales, et d’une idée de la littérature indexée sur le réalisme. Elles posent ainsi de manière inédite la question même du littéraire.
The present period has seen the development of the documentary literary narrative, a type of work which relates all at once to travel literature, sociological enquiry, the art of the political essay, biography and autobiography. Heterogeneity signals out the documentary narrative in its very foundations. This also goes for its auctorial status, that of “literary journalism”, a genre scorned in France but which has a recognised status in the anglosphere. The “materials” they are made from are just as composite, including among others geographical descriptions, historical narratives, interviews in great numbers, brief stories, “confessions”, etc. This affects the physical aspects of the texts, since they often resort to differences in typography and to illustration (drawings, photographs, all types of explanatory graphs). Far from trying to hide these different layers of heterogeneity, these documentary narratives are proud to lay claim to them, without nonetheless letting themselves be overwhelmed by chaos, because they see themselves as engaged in the cognitive charting of the world. Because they show such a determination to engage with the full force of reality, they contest the powers of journalism, the social sciences, and that aspect of literature predicated on realism in the same breath as they adopt their methods, and thus put into question in a new way the very notion of literature.