Si nous employons souvent, aujourd’hui, le mot « enquête » pour désigner une étude critique, on peut observer, en s’appuyant sur une poétique du discours critique, comment le modèle de l’enquête s’impose dans le genre de la critique littéraire au XIXe siècle. En s’attachant aux textes de Brunetière, Sainte-Beuve, Taine, ou encore Hennequin, il est possible de mettre en parallèle cette mutation avec l’évolution des conceptions en matière d’esthétique et d’herméneutique littéraires. D’un point de vue épistémologique, le primat du geste étiologique aussi bien que l’importance de la réflexion sur le rapport entre induction et déduction montrent comment l’analyse critique se présente comme une tentative de retrouver sous les éléments épars de l’oeuvre et la vie la cohérence et la nécessité qui sont l’horizon de tout enquêteur. D’un point de vue poétique, les conséquences sont décisives sur le plan de l’écriture même de la critique : l’oeuvre est constituée en énigme, l’étude critique se transforme en récit à suspense, qui présente bien des traits génériques communs avec le roman policier. D’un point de vue rhétorique enfin, un nouvel ethos du critique se construit : dans un contexte d’autonomisation du champ littéraire, il apparaît alors que le modèle de l’enquête permet à la critique de légitimer sa propre pratique.