Littérature nº 171 (3/2013)
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Contrairement à une topique romanesque récurrente de la période, La Religieuse ne se borne pas à exposer l’innocence aux épreuves de la séduction. Non seulement, l’instrumentalisation de l’innocence et la mystification de la candeur sont au principe même de l’oeuvre, avec la mystification du marquis de Croismare, mais le récit de Diderot se dédouble et semble offrir conjointement un roman de l’innocence et un roman de la séduction. Si La Religieuse est bien d’abord, à l’évidence, le roman de l’innocence persécutée et des épreuves de la vertu, les éléments invitant à mettre en doute la parfaite ingénuité de Suzanne sont réunis dans le récit même qu’elle compose. Par-delà la figure du narrataire, c’est en somme à un destinataire dédoublé que s’adresse Diderot, qui puisse simultanément compatir aux malheurs de Suzanne et suspecter son innocence, voire démasquer ses ruses, ses silences, ses ellipses, bref toutes ses stratégies de séduction.
In opposition to a classic novelistic topos of the period, Diderot does not rest content with exposing innocence to the temptations of seduction. The instrumentalisation of innocence and the mystification of candour are not only at the heart of the work, with the marquis de Croismare’s mystification; furthermore Diderot’s story offers a double and simultaneous novel of innocence and novel of seduction. If The Nun is first and foremost a novel of persecuted innocence and the trials of virtue, the elements that lead us to doubt Suzanne’s ingenuousness are reunited in the very story she is composing. Beyond the figure of the narratee, Diderot has, in totum, a double addressee, one who can, simultaneously, have pity for Suzann and her distress, and put her innocence in doubt – to the point of unmasking her ruses, silences, ellipses, in other words her strategies of seduction.