Littérature n° 153 (1/2009)
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En s’appuyant sur les textes où Borges rend compte de ses lectures de Joyce, cet article cherche à voir comment les poétiques des deux écrivains s’éclairent mutuellement. Il se concentre en particulier sur un reproche que Borges adresse à Joyce à propos de Finnegans Wake : « Dans ce vaste ouvrage, l’efficacité reste une exception. » À partir de cette remarque, il s’agit d’analyser l’usage qui peut être fait de la notion d’efficacité dans la critique d’oeuvres romanesques. La démonstration passe entre autres par une lecture de L’Histoire de deux rois et de deux labyrinthes de Borges : ce conte oriental, repris dans L’Aleph, est une réaction masquée à la lecture de Finnegans Wake et constitue une véritable parabole opposant Borges et Joyce, soit deux pratiques de la littérature. Si l’idée d’efficacité s’avère un concept utile à la réception d’un texte aussi excessif que Finnegans Wake, elle est en effet étrangère à l’esthétique de Joyce : l’écrivain organise son roman selon une métaphore cosmologique, comme un livre-univers, tandis que l’efficacité ressortit à une métaphore d’organisation économique des oeuvres littéraires, dont Borges est beaucoup plus proche. L’idée d’efficacité apparaît ainsi comme un des produits de la tradition rationaliste occidentale contre laquelle Joyce n’a de cesse de lutter.
Borges recounts his readings of Joyce in a number of texts, which show how these writers’ poetics shed light on each other. In particular, Borges has a specific criticism to make regarding Joyce’s Finnegan’s Wake : “In this vast work, efficiency remains an exception.” This comment enables the analysis of the use that the notion of efficiency can be put to in the critique of novelistic works, which uses, among others, a reading of Borges’ A Story of Two Kings and Their Two Labyrinths. This oriental tale, collected in The Aleph and other stories, is a covert reaction to Borges’ reading of Finnegan’s Wake and constitutes a parable opposing Borges and Joyce, or two ways of doing literature. But if the idea of efficiency can prove useful in receiving a text as excessive as Finnegan’s Wake, it is on the other hand completely foreign to Joyce’s aesthetics : he organises his universe according to a cosmological metaphor, that of the book-universe, whereas efficiency belongs to the metaphoric realm of the economic organisation of works of literature, which Borges is much closer to. Thus the idea of efficiency appears as one of the products of the rational Western tradition against which Joyce never ceased to struggle.